Les Amis de Louis Simon

Les Amis de Louis Simon

Anne Fillon

 

 

 

 

Anne Fillon

 Anne Fillon, universitaire et chercheuse qui a marqué la recherche historique, a

tout fait pour développer les formations de niveau universitaire en direction

des adultes. Directrice du CUEP qu'elle  avait implanté au Mans,

elle a fondé non seulement "Les amis de Louis Simon" mais aussi "Liaison Université" C'est elle aussi qui a eu l'idée et créé les "Guides- habitants".

 

 

 

 

 

Hommage à Anne FILLON(1932-2012), fondatrice des associations « Les Amis de Louis Simon » et « Liaison Université », créatrice des « Guides-Habitants »

 

Hommage prononcé par Jean-Marie CONSTANT, Professeur émérite des Universités, Président de l’association « Liaison Université » lors des obsèques d'Anne Fillon.

 

 

 

 

Pour beaucoup de Sarthois et de gens de l’Ouest, Anne Fillon était le Directeur du CUEP, (Centre Universitaire de l’Education Permanente), créé par elle à la demande du Président de l’Université du Maine de l’époque, en 1977-78. Des générations d’adultes ont repris des études ou effectué des stages de formation dans ce Centre, ce qui leur a permis de progresser dans leur carrière professionnelle ou même de changer de métier. Parmi ces formations, l’ESEU (devenu le DAEU), examen qui permettait à des adultes n’ayant pas le Bac d’entreprendre des études universitaires. Le Mans était comme Lille très en avance, sur le plan pédagogique. En effet, au lieu de faire préparer aux candidats un examen après une année d’études, Anne Fillon avait organisé cette formation par unités de valeur capitalisables, pouvant s’effectuer sur plusieurs années, ce qui permettait aux salariés très occupés professionnellement de les entreprendre avec succès. Elle rêvait d’étendre cette nouvelle pédagogie à l’ensemble de la France. Elle en eut l’occasion, grâce à un ministre des universités, que tout le monde connaît ici et qui a osé braver l’opposition des groupes de pression si puissants dans l’Education Nationale, pour réaliser cette réforme. Le DAEU est devenu l’équivalent du Bac et une commission de travail, qu’elle a présidée, a prôné l’organisation de ce diplôme en unités de valeur capitalisables. Cette réforme a une certaine importance sociale, car elle a permis non seulement à des adultes de réussir des études supérieures jusqu’au doctorat quelquefois, mais elle leur a permis d’entreprendre de nouvelles formations comme l’entrée dans les écoles d’infirmières ou encore d’obtenir des promotions significatives dans les entreprises.
Anne Fillon est aussi connue par le grand public pour avoir créé en 1974 et présidé jusqu’à maintenant l’association Liaison Université, qui organise des conférences tous les quinze jours pendant la période universitaire. L’objectif était d’établir un pont entre l’université et la ville et de mettre à la disposition d’un grand public cultivé, les acquis de la recherche universitaire. Comme il lui fallait une salle suffisamment vaste, dans la ville du Mans, pour accueillir un public qu’elle voulait nombreux, elle avait contacté le directeur du Crédit Agricole, rue Prémartine. Il lui avait répondu qu’elle ne parviendrait jamais à faire venir les Sarthois à ce genre de manifestation, mais qu’il voulait l’encourager en lui offrant gratuitement sa salle de réunion. Sa prédiction a été démentie par les faits, mais aujourd’hui encore, Liaison Université organise toujours une conférence l’après-midi du mardi, rue Prémartine et gratuitement, car les différents directeurs qui se sont succédés à la tête du Crédit Agricole ont maintenu cette disposition. Cependant le succès de ces conférences est tel et l’université du Maine ayant vu s’accroître le nombre de ses étudiants et de ses bâtiments, qu’une seconde conférence est répétée le soir à 18 heures dans le plus grand amphithéâtre de l’université, Robert Garnier. Au total, les deux conférences drainent en moyenne les mardis, de 400 à 600 personnes.
Anne Fillon n’a pas seulement été la Directrice dynamique du CUEP et la présidente de Liaison université, elle a été également une brillante universitaire et un chercheur qui a marqué la recherche historique. Elle a soutenu, en 1982, une thèse de doctorat sur le fameux Louis Simon, villageois du XVIII° siècle de la Fontaine St Martin. Louis Simon est le seul paysan à avoir écrit ses mémoires en étant demeuré toute sa vie dans son village, dont il a été le premier maire au moment de la révolution. Les autres sont souvent devenus des grands personnages et des notables en vue, alors que lui est resté étaminier et sacristain de la paroisse, une grande partie de sa vie. Le manuscrit des mémoires de Louis Simon avait été confié à Michel, son mari, notaire, par un de ses clients, qui avait été interpellé par quelques phrases, qui évoquaient les chouans de façon fort peu favorable. Quand je suis arrivé à l’université du Maine, elle m’a demandé si je voulais bien accepter de diriger sa thèse. Elle était une doctorante extrêmement exigeante, qui travaillait beaucoup. Elle a dépouillé 40 000 actes notariés du XVIII° siècle, pour vérifier les assertions de Louis Simon et pour reconstituer dans le détail la vie villageoise du XVIII° siècle. Elle me posait beaucoup de questions, souvent très difficiles à résoudre, avec la documentation, dont dispose l’historien sur ces périodes anciennes. Je me rendais souvent à la BNF pour trouver les solutions aux problèmes qu’elle soulevait. Elle m’a avoué plus tard qu’elle trouvait étrange que je ne puisse pas répondre immédiatement à une question sur le droit canon, des décrets du concile de Trente ou les conditions d’hébergement des soldats à l’Hôtel des Invalides au XVIII° siècle. Elle pensait sans doute à cette époque qu’un professeur d’université devait avoir la science infuse et répondre du tac au tac aux questions les plus saugrenues. Elle a compris, lorsqu’elle est devenue à son tour professeur des universités, que la spécialisation en matière de recherche était une nécessité et qu’un chercheur ne pouvait pas tout savoir sur tout.
Je me souviens que lors de la première année de la préparation de sa thèse, au mois de juin, elle était très inquiète à propos des vacances universitaires, qui étaient la période, où elle avait le temps de travailler à sa recherche, parce qu’elle était libérée des tâches administratives et professionnelles du CUEP, qui l’occupaient toute la semaine. Elle me demanda timidement si elle pouvait me joindre par téléphone, pendant les vacances. Je lui répondis que je louais, chaque année une maison, dans un petit village du Pays Basque, au pied de la forêt d’Iraty, où je pouvais moi aussi travailler tranquillement. Il se trouve qu’à l’époque, la famille Fillon avait une maison dans la Soule. Seuls, le pic de Behorléguy et quelques cols séparaient nos deux résidences. En franchissant alternativement le col, les deux familles se rencontrèrent, déjeunèrent souvent ensemble. Une solide amitié est née à cette époque entre les deux familles. Elle ne s’est jamais démentie.
Pour Anne Fillon, le travail de thèse ne consistait pas uniquement à analyser le texte de Louis Simon et à collecter et raconter ce qu’elle trouvait dans des archives. Elle excellait dans le travail de l’historienne, pour interpréter avec une grande finesse et une grande subtilité, sa documentation, discerner l’essentiel de l’accessoire ou du détail, comparer avec d’autres sources et d’autres travaux, se poser les bonnes questions et surtout les résoudre.
Cette thèse lui a permis d’être élue Maître de conférence à l’université du Maine. Quelques années après, elle a publié de nombreux articles dans des revues scientifiques, effectué de nouvelles recherches, publié trois livres, soutenu une Habilitation à diriger des Recherches. Elle a été élue alors professeur des universités. Dans les nouveaux travaux de recherche qu’elle a entrepris, elle était allée notamment à la Bibliothèque de Troyes, où étaient conservés le petits livrets de la Bibliothèque bleue, que les colporteurs allaient vendre pour quelques sous dans les villages du royaume de France. Elle y avait découvert des chansons à la mode de l’époque et s’était aperçue qu’elle constituait l’essentiel du vocabulaire et de la culture des villageois du Maine, au XVIII° siècle.
Ses recherches ont apporté beaucoup à la connaissance du mode de vie des villageois du XVIII° siècle, qui étaient loin d’être des populations primitives, comme certains l’avaient cru. Il existait une civilisation villageoise élaborée avec ses codes, ses règles de vie. Elle faisait surgir ce qui constituait la culture matérielle de ce temps, la sensibilité de ces habitants qui travaillaient la terre, leur sens de l’honneur, de la sociabilité, les péripéties de leur vie sentimentale. Elle montrait que les années soixante à quatre-vingts du XVIII° siècle avaient été l’apogée de la pénétration des idées des lumières dans les villages, que les femmes connaissaient une certaine forme d’émancipation. Elle montrait aussi que le progrès n’est pas continu, car cette situation se détériore dans les années quatre-vingts à la veille de la Révolution. Je me souviens d’un colloque à Rennes, où elle traitait des nouvelles modes vestimentaires et notamment des cotonnades de couleur, qui avaient remplacé au XVIII° siècle les robes noires et tristes des femmes. L’historienne Nicole Pellegrin, qui a beaucoup travaillé sur le sort des femmes et qui a fait une conférence à Liaison Université sur l’histoire du voile des femmes de l’antiquité à nos jours, a commencé sa communication en déclarant, avec ironie, par provocation féministe : « avec Anne, nous allons parler chiffons », tellement l’histoire des femmes ne faisait que commencer à s’entrevoir à cette époque. Ces travaux d’Anne ont connu une certaine célébrité. Ils ont fait l’objet de séminaires, à la Sorbonne, au Collège de France, en Allemagne, au Japon.
Cependant Anne Fillon ne se contentait pas de ses tâches d’enseignement à l’université où elle enthousiasmait les étudiants, ni des recherches pointues qu’elle menait, elle continuait parallèlement à diriger la formation continue et à entreprendre dans des domaines nouveaux. C’est ainsi que la Faculté des lettres et le Cuep ont créé en 1996, à la demande du président Pleurdeau, le DESS patrimoine et développement local devenu depuis un master, mais sa structure est toujours la même élaborée par Anne, experte pour tout ce qui est professionnel.
Un peu plus tard, ayant remarqué que dans les villages, les bénévoles qui faisaient visiter les églises ou les bâtiments patrimoniaux, manquaient de culture historique et commettaient souvent des erreurs, elle a organisé ce qui s’appelle aujourd’hui encore la formation des guides habitants, financée par le Conseil général, dont l’objectif est de former des volontaires pour faire visiter les villages et évoquer leur patrimoine.
Auparavant, toujours avec l’aide du Conseil général, elle avait réussi à acheter la maison de Louis Simon, à la Fontaine St Martin, à la faire rénover et en faire un Musée sur la vie villageoise au XVIII° siècle et que l’on peut visiter pratiquement toute l’année. En mai 2012, l’association Louis Simon a reconstitué un mariage costumé du XVIII° siècle, qui a eu un succès considérable par la foule en nombre, qui se pressait sur le parcours du cortège. Anne conduite par Michel y est venue brièvement. C’est la dernière fois que beaucoup d’entre nous l’ont rencontrée. C’est aussi l’une de ces dernières sorties.
Enfin, son dynamisme est tel que pendant une dizaine d’années, nous avons organisé ensemble une université d’été, d’abord à Vivoin, puis au château de Dobert, qui regroupait pendant l’une des dernières semaines de juin des étudiants et des adultes. La matinée était consacrée à des conférences et l’après-midi à des visites patrimoniales de monuments non ouverts au public et qui s’ouvraient comme par miracle, grâce à Anne. Les soirées étaient consacrées à des activités culturelles ou à des discussions sur des problèmes historiques.
En conclusion, on peut dire qu’elle a consacré toute sa vie à un travail acharné, fait de tâches administratives, de formation professionnelle, d’enseignement universitaire, de recherche historique. Manager le CUEP, comme une entreprise privée dans le cadre du service public est souvent difficile et entraîne des pertes de temps considérables. Sa réussite est aussi celle d’une équipe, qu’elle savait mobiliser au service de la formation professionnelle. Toute sa vie a été une vie de dévouement pour les autres, pour le bien public comme on disait au XVIII° siècle, l’époque qu’elle a si bien étudiée.
Aujourd’hui, on entend beaucoup de discours et de leçons de morale, mais les actions énergiques se font souvent attendre. Anne privilégiait l’action plus que les paroles et son action était extrêmement efficace. 

 



25/02/2020
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour